L’air de rien, le ciel est à vous « vieille canaille »

Article Courrier Picard du 16 Octobre 2011

Même si à 91 ans, il ne vole plus, René Georges continue de fréquenter l’aéro-club d’Abbeville, dont il est un doyen discret aux 2 000 heures de vol. Respect.

C’est un rituel. Tous les mercredis midi, René Georges retrouve des anciens de l’aéro-club d’Abbeville. Ensemble, ils cassent la croûte au restaurant du Relais de l’Europe, au pied de la piste, « racontent toujours les mêmes histoires » et regardent les avions décoller et atterrir. Sans regrets. « On ne vole plus, mais ça ne nous empêche pas de critiquer ! » s’amuse le doyen de l’aéro-club d’Abbeville. Il a 91 ans et ne pilote plus depuis 2000. « J’ai préféré arrêter de moi-même. Plus on avance en âge, plus les contrôles sont sévères. Je n’aurais pas aimé qu’on me dise que je ne pouvais plus le faire, même si j’en ai pleuré. » Quand René « monte au terrain », sur les hauteurs de la ville, il ne rumine pas sa nostalgie. Le vélivole sait qu’il est « chez lui » au club et apprécie cette atmosphère qui l’a accompagné à peu près toute sa vie.

« Jamais rien cassé » Retour en 1937, en plein Front populaire. Une voix amie s’élève du côté de Grand-Laviers, près d’Abbeville, où la famille Georges a élu domicile : « Eh ! René ! Tu sais que tu peux faire ta préparation militaire dans les avions ! » « Qu’est-ce qu’on ne m’avait pas dit là » Direction l’aérodrome, tout près. Le père avec le fils. Le fils avec le père. Au club, un cador. Michel Doré, son fondateur, en 1930, donne le ton. À l’instructeur de l’époque, Doré lance : « Tiens, t’emmènes ce jeune gars. Il vient de s’inscrire. Prends le père avec, comme ça, il saura ce que c’est ! » Ce jour-là, Michel Doré fait deux heureux. René Georges ne quittera plus jamais les airs. Enfin, presque. À peine son brevet d’aptitude de pilote en poche, la guerre éclate. C’est l’incorporation. L’armée de l’Air ? Trop jeune, trop inexpérimenté. Ce sera l’infanterie, puis la démobilisation. Jusqu’au retour sur le plateau nord d’Abbeville, où les Allemands n’ont pas fait de quartier avec les infrastructures de l’aérodrome. Tout ou presque est à reconstruire. Il n’y a plus d’avions. Les pilotes qui reprennent goût à la liberté, se contentent de planeurs récupérés, qu’ils utilisent avec un treuil de fortune pour décoller. René Georges aime cette recherche permanente des courants ascendants, plus sportive que le vol moteur. « La différence entre les deux, c’est que quand vous montez en altitude et allez d’un point à un autre, c’est que vous avez été capables de “spiraler”. Et ça, c’est vous qui décidez, pas le moteur. » Il sort d’un carton à souvenirs un ustensile en plastique transparent. « Vous savez ce que c’est ? Un rapporteur. C’est avec ça qu’on traçait des caps. Aujourd’hui, plus besoin : il y a des GPS. » Sans GPS, René Georges aura volé 2 000 heures, « sans jamais rien casser », sur 25 types d’avions et 30 planeurs différents. En vol à voile, il a atteint 2 800 mètres d’altitude, son record. Ce palmarès construit en même temps sa vraie famille, celle des pots d’anniversaire, des embrassades et des mots tendres, qui barrent quelques albums photos de la « vieille canaille », comme le surnomme son ami, Michel Bellegueille. Lequel camarade lui a écrit une jolie dédicace, qui parle de leurs chants aériens, L’internationale et l’Ave Maria . L’Ave Maria dans les nuages ? René Georges pouffe : « On volait tous les deux. Je lui ai dit : ” Michel, si tu fais les 1 000, j’te chante l’Ave Maria”. Ce jour-là, j’aurais mieux fait de me taire ! »

VINCENT HERVÉ (Courrier Picard)